La mode, tout sauf futile : le Peasant Chic de Zhuang Weiguo

Published by

on

Futile et frivole la mode me direz-vous ? Et bien suite à cette découverte du « Peasant Chic », je n’en suis pas si sure. Dans le fond qu’est-ce qui nous distingue des autres espèces animales si ce n’est créer du futile ?

Alors c’est quoi ce « Peasant Chic »? Il s’agit d’une marque de vêtements lancée en 2011 par le créateur Zhuang Weiguo inspirée du look d’un sans abri chinois dont la popularité a dépassé les frontières de la Chine allant jusqu’au Japon. Le créateur décrit sa ligne de vêtement comme « une ligne de vêtements de luxe pour homme entièrement inspirée du style vagabond de Brother Sharp. »  Celui-ci a révélé lors de sa conférence de presse qu’1,5 million de dollars américains ont été nécessaires pour lancer cette ligne avec le créateur italien connu Francesco Fiordeli. Cet événement fashion a fait de Brother Sharp, le sans-abri le plus connu du web chinois.

Tout a commencé le 30 janvier 2010 lorsque  Monsieur Tu, membre du forum http://www.fengniao.com, photographie un sans abri au square Tian Yi qu’il qualifie comme ayant « une allure très digne« . « Il a un tempérament très spécial« , déclare-t-il : « C’est pourquoi je n’ai pas pu résister à faire quelques photos de lui. » Le 21 février, le Tianya Club postait ce thème dans son forum “Regardez cet homme exceptionnel,  un passant magnifique et beau ! Cachez les yeux de vos chiens! Regardez les détails dans sa chair! » Son surnom de Brother Sharp qui peut être traduit par « Frère au regard aiguisé » lui viendrait de son regard perçant et de son look pointu.

“ un bel homme droit et chinois marchant avec l’allure mesurée d’un modèle, portant un pardessus coordonné rag-tag  sur une veste en cuir. Ses yeux scrutent à l’horizon, comme le décrit un de ses fans ‘d’une manière profonde et pénétrante’ tout en allant de l’avant avec confiance.« 

Je pense qu’en lisant cette description, vous devez sentir où je veux en venir. ll est un peu évident que cet homme a été sublimé en héros urbain des temps modernes. Comme le dit L. Couloubaritsis, toute époque est traversée par ses mythes qui la caractérisent. Ce philosophe définit le mythe en ces mots : « le mythe est un discours complexe d’une réalité complexe où s’enchevêtrent le visible et l’invisible, et qui se déploie selon une logique qui lui est propre et en fonction d’un schème transcendantal qui unifie et régularise l’expérience. » (p.68, L. Couloubaritsis, Mythe et philosophie chez Parménide, Bruxelles, 1986). Pour les non philosophes, les mythes n’ont pas la prétention de raconter une histoire vraie mais bien de proposer des clefs de lecture de la réalité. C’est le cas par exemple de l’Odyssée, de la Bible ou encore des narrations contemporaines mettant en scène le sexe et la violence du genre Esprits Criminels.

Alors que nous raconte Brother Sharp ? Pauvre, en marge de la société, sans abri et sans travail, il marche décidé et invulnérable.  Ce chinois (un peu de nationalisme) est beau car il n’est pas abattu et miséreux dans cette jungle urbaine. Rien ne peut l’atteindre. Un super héros quoi. Evidemment, cette histoire à laquelle les chinois ont visiblement envie de croire occulte la réalité d’un homme qui a de sérieux troubles de la personnalité. Ce qui donne des situations cocasses où des passants se font photographier avec lui ou même filmer (faites le test sur You Tube – c’est ahurissant). Photos ou vidéos cocasses, sentimentale/sentimentaux ou glauques, au choix. Le tout accompagné de photomontages faisant « tout simplement » de lui un super héros ou en modèle d’élégance. Vous trouverez aussi à la fin de la galerie, une photo faite en mai et juin 2010 lors d’un show TV :

Une vidéo d’une rencontre avec Brother Sharp en rue et une autre, louant son style rock et mixte :

Arrivé à ce point, qui d’entre vous va encore me dire que la mode est futile? Et je suis presque sure qu’il est possible de décortiquer les tenues des grands créateurs selon cet angle de vue, à savoir la projection idéale de ce que nous voulons être. Brother Sharp est un parfait exemple de l’identité narrative de Ricoeur et/ou de la création de personnage conceptuel deleuzien. Chacun met en scène son identité en la racontant ou en créant des personnages fictifs ou semi-fictifs pour véhiculer des images.

Pour la suite de l’histoire, Brother Sharp, Chen Guorong de son vrai nom (né le 10 octobre 1975) a été admis dans un hopital pour malades mentaux à Ningbo. Ses comportements devenaient de plus en plus problématiques d’autant plus qu’il ne comprenait pas pourquoi tout le monde lui courait après pour le photographier ou le filmer. Il s’est avéré qu’il s’habillait en femme car il souhaitait qu’une femme l’aime et s’occupe de lui. Son frère l’a reconnu à l’hopital en mars 2010 et il semblerait qu’il soit maintenant retourné dans sa famille à Poyang  qui avait perdu sa trace en 2003, soit trois ans après qu’il soit parti pour chercher du travail. Chen Guoron est père de deux enfants. Sa femme et son père sont décédés après son départ dans un accident de voiture.

Le voilà, souriant et plus propre. Juste qu’il a perdu de sa « prestance » :

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.