Nous nous amusons tous avec ce que nous pouvons et moi, je m’amuse avec la série « Grote Vragen » du journal De Morgen : « Wat is de grote vraag van deze tijd ? Filosofen uit België en Nederland denken en delen wat hen wakker houdt. » Quelle est la grande question de notre époque ? Des philosophes belges et néerlandais pensent et partagent ce qui les garde éveillés. Celle qui a retenu mon attention cette fois est celle de Jean Paul Van Bendegem : Qui ou qu’est ce nouvel Homme ? (14 avril 2014)
« Wie of wat is de niewe mens? » est déjà formulée différemment en néerlandais car « mens » réfère aux hommes et aux femmes, au-delà des genres : il s’agit de l’humanité prise dans sa globalité. Cette question hante les philosophes depuis toujours et a des implications importantes au niveau moral, juridique et politique. L’humanité se caractérise-t-elle par sa rationalité et sa conscience ? Le débat s’est déjà posé en ces termes dans l’histoire : les femmes ou les noirs sont-ils doués de cette faculté proprement humaine ? Ou encore, toujours d’actualité, les embryons sont-ils des humains possédant déjà une conscience à conserver et à protéger ?
C’est en se posant ces questions de ce qui/qu’ est humain et ne l’est pas, que nous réalisons l’importance des réponses que nous leur donnons. Pouvons-nous dire que l’humanité ne s’est pas seulement améliorée mais aussi transformée comme le suggère Van Bendegem? Selon lui, la manipulation génétique pourrait nous permettre de nous transformer en ce que nous jugeons être plus humain. Et la nanotechnologie, la biotechnologie, l’informatique, la médecine (je rajoute) et les sciences cognitives permettraient même de nous transformer en cyborg par exemple grâce à la réalité augmentée ou encore, les prothèses animées.
Cette transformation rendrait caduque ces vieux débats sur la nature humaine formulée selon lui de manière trop duale et ne prenant pas assez en compte les émotions, comme le suggère aussi la philosophe Martha Nussbaum. Ce qui implique une plus grande importance de la culture et de l’art dans la définition de ce qu’est l’humanité.
Quant à savoir si c’est à cause de ces avancées technologiques qu’il existe une urgence de revoir notre conception de l’humanité, je dirais que non.
D’ailleurs celle-ci a toujours été revisitée à travers les siècles. L’homme est-il une création de dieu ? Les hommes sont-ils des émanations de la nature qui les crée inégaux (Aristote) ? L’homme est-il naturellement bon (Rousseau)? Est-il le seul à pouvoir être libre et moral grâce à sa faculté de penser et de juger (Kant)? La liberté est-elle la spécificité humaine qui permet de se perfectionner (Jaspers)? Est-ce la cruauté le propre de l’homme (Nietzsche) ou encore son ancrage au monde (Heidegger)? L’homme ne se caractérise-t-il pas par sa passivité et sa capacité à recevoir l’autre (Lévinas) ou à ressentir le mal que l’on fait aux autres (Rorty)? L’homme est-il d’abord politique (H. Arendt)? Les droits de l’homme ne sont-il d’ailleurs pas censés être la base juridico-morale permettant de protéger tous les individus ?
Nous pouvons continuer à énumérer les questions des philosophes sur la nature humaine pour constater que les conceptions duales de l’humanité ne représentent qu’une infime partie du débat.
L’enjeu est de pouvoir créer des concepts qui correspondent à la réalité, voire à de nouvelles perceptions humaines de la réalité : oui il existe des rapports de force, oui la cruauté est prenante dans notre société, oui l’humanité a besoin d’une identité pour pouvoir organiser sa vie (politique, sociale, sentimentale, juridique etc.). Il s’agit de l’éducation intellectuelle et émotionnelle, de la capacité de parler en prenant en compte l’humanité dans son entièreté. Il est question de l’honnêteté intellectuelle, de la créativité et de l’ouverture d’esprit.
En fait, il est question de « à quoi sert la philosophie » dans le même monde où vivent côte à côte les activités humaines comme la spéculation financière, la politique, l’art, la prise de pouvoir, la médiatisation de nos émotions ou simplement la survie. La réponse est : à formuler collectivement et globalement notre rapport à nous mêmes et aux autres. S’il doit y avoir un nouvel Homme, irrémédiablement, il philosophe l’humanité dans sa globalité.
Laisser un commentaire